L'outre-mer constitue un capital écologique crucial. Pourtant, selon le rapport publié hier par le comité français de l'Union mondiale pour la nature (UICN), les financements publics destinés à l'outre-mer ignorent allégrement les enjeux environnementaux (par Eliane Patriarca).
La France s'enorgueillit d'être, grâce à ses collectivités d'outre-mer, le seul pays au monde présent dans cinq points chauds de la biodiversité mondiale. Avec 10 % des récifs coralliens et lagons et 20 % des atolls de la planète, avec des espèces endémiques très nombreuses, et plus de 7 millions d'hectares de forêt tropicale, l'outre-mer constitue un capital écologique crucial. Pourtant, selon le rapport publié hier par le comité français de l'Union mondiale pour la nature (UICN), les financements publics destinés à l'outre-mer ignorent allégrement les enjeux environnementaux. Coordinateur du programme outre-mer au bureau européen de l'UICN, Jean-Philippe Palasi estime que l'analyse des financements nationaux et européens montre que «malgré quelques projets de réserves et de parcs naturels il n'y a pas de mobilisation à la hauteur de ce patrimoine exceptionnel, particulièrement menacé par le réchauffement climatique». Manne. Pourtant, l'argent ne manque pas. La contribution européenne aux DOM s'est ainsi élevée à 3,6 milliards d'euros sur la période 2000-2006. En 2004, l'effort budgétaire global de l'Etat en faveur de l'outre-mer a atteint 9,3 milliards d'euros. Mais là-dessus, la part du ministère de l'Ecologie n'a représenté que 6 millions, soit 0,063 % de son budget. Ce n'est donc pas la protection des espèces ou des écosystèmes qui a profité de la manne. «On manque de moyens pour des urgences écologiques criantes comme la lutte contre les feux de forêt en Nouvelle-Calédonie ; ou contre l'invasion des espèces envahissantes un peu partout. En Guyane, les fonds manquent pour la lutte contre l'orpaillage clandestin, une calamité pour la forêt et les fleuves.» De même, l'absence quasi totale d'infrastructure de retraitement des déchets et des eaux usées (directement versées dans la mer en certains endroits de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie ou de Mayotte) liée à une croissance démographique rapide, affecte durablement l'environnement et les écosystèmes. Quant aux réserves naturelles outre-mer, elles «vivotent toutes comme les associations de protection de la nature».
Mais alors où va tout cet argent public ? «On continue à favoriser un modèle de développement peu durable, et des grands projets d'infrastructures», estime Jean-Philippe Palasi. Exemple, en Guyane : le percement de routes à travers la forêt primaire, avec tous les effets pervers induits. «Ces routes, sans réelle utilité pour le tourisme ou pour la population très peu nombreuse et essentiellement répartie sur le littoral, facilitent le travail et les déplacements des chantiers clandestins d'orpaillage, que la gendarmerie n'arrive déjà pas à contrôler aujourd'hui. Et elles ruinent la continuité écologique de la forêt, déplore Jean-Philippe Palasi. Avec la Guyane, la france est pourtant légataire d'une partie de l'Amazonie.» «Gâchis monumental». Autre exemple à La Réunion avec le chantier de basculement des eaux, destiné à irriguer la côte ouest avec les rivières de la côte est, d'un coût record évalué à 800 millions d'euros. Des erreurs dans les relevés géologiques ont conduit au percement d'une nappe aquifère (et donc à l'abandon du tunnelier). Depuis 2001, la nappe s'écoule dans la mer avec un débit initial de 400 litres/seconde. «C'est un gâchis monumental que d'avoir perdu cette nappe d'eau minérale très pure qui avait mis des millions d'années à se constituer». La répartition défavorable des fonds publics est encore renforcée par la défiscalisation. «Ces avantages financiers créent un effet d'aubaine pour les entreprises, mais ils n'intègrent pas la dimension environnementale des projets.» Ainsi, l'usine Goronickel, en Nouvelle-Calédonie, a obtenu un agrément en défiscalisation de 481 millions de dollars en 2004. «Un tel soutien de l'Etat à un projet à très fort impact environnemental pose question», estime Jean-Philippe Palasi. Pour l'UICN, l'outre-mer constitue, au contraire, une opportunité unique pour un pays comme la France d'appliquer à des zones tropicales essentielles des standards européens de protection de la nature européens.
Eliane Patriarca. Source : Libération. |