Claude Lévi-Strauss ethnologue |
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04-11-2009 | |
L'Ethnologue français Claude Lévi-Strauss est mort à plus de 100 ans. Lévi-Strauss est mortL'ethnologue et écrivain était âgé de 100 ans. Ses obsèques auraient déjà eu lieu à Lignerolles en Côte d'Or, selon l'anthropologue Philippe Descola.
Portrait daté du 26 décembre 1974 de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss. (AFP)
Né à Bruxelles en 1908, Lévi-Strauss a changé notre perception du monde en jetant les bases de l'anthropologie moderne et influencé des générations de chercheurs. Son autobiographie intellectuelle, Tristes Tropiques, paru en 1955, est considérée comme l'un des grands livres du XXe siècle. Professeur au Collège de France de 1959 à 1982, il est le premier anthropologue élu à l'Académie française en mai 1973. Que lire de Lévi-Strauss ?
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Les objets de Lévi-StraussA l'occasion des 100 ans, en novembre 2008, le musée du quai Branly a organisé une série de manifestations en son honneur, en exposant notamment des pièces issues de sa collection, en provenance du Brésil et de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, et en présentant des photos de ses expéditions. PORTRAITClaude Lévi-Strauss, un déraciné chroniqueL'ethnologue et écrivain est mort à l'âge de 100 ans. Retour sur le parcours d'un homme qui a révolutionné son siècle.
La mission Levi-Srauss dans son campement (Archive). (DR)
Le père de Claude Lévi-Strauss était peintre, deux de ses oncles aussi. Né le 28 novembre 1908 - à Bruxelles, où il ne reste que quelques mois avant de revenir à Paris -, le jeune Claude grandit dans une famille désargentée et cultivée, où la musique est aussi très présente. Très vite, il collectionne des «curiosités exotiques» et monte déjà des «expéditions» dans la capitale et la région parisienne. Quand la Première guerre mondiale éclate, son père est mobilisé et toute la famille part s’installer chez le grand-père maternel, grand rabbin de Versailles. A la fin du conflit, il entre au lycée Janson-de-Sailly à Paris et s’intéresse dès 16 ans à la politique. Militant SFIO, il deviendra même secrétaire général de la Fédération des étudiants socialistes. Grand lecteur de Karl Marx, il écrit son premier texte, sur Gracchus Babeuf, dans une revue socialiste belge. Après une hypokhâgne à Condorcet en 1926, il entreprend des études de droit et de philosophie. Mais le droit l’ennuie et il choisit la philosophie, dont il devient agrégé en 1931, à moins de 23 ans, en même temps que Simone Weil. Son premier poste de professeur le conduit à Mont-de-Marsan. La passion de la politique ne l’a pas quitté. Candidat socialiste aux élections cantonales de 1932, il voit son entreprise tourner court après un accident de voiture en compagnie de Pierre Dreyfus, futur PDG de Renault et ministre de François Mitterrand. Nommé à Laon l’année suivante, il découvre l’ethnologie en lisant l’Américain Robert Lowie. Une révélation pour le jeune philosophe qui cherche sa voie. Encouragé par Paul Nizan, un lointain parent dont il admire le livre «Aden Arabie» et qui lui fait rencontrer Marcel Mauss, le maître de l’ethnographie, son intérêt pour celle-ci grandit. A l’automne 1934, le directeur de l’Ecole normale supérieure, qui connaît son aspiration, lui conseille de se porter candidat comme professeur de sociologie à l’université de Sao Paulo, au Brésil. «Les faubourgs sont remplis d’Indiens, vous leur consacrerez vos week-ends», lui dit-il curieusement. Claude Lévi-Strauss n’hésite pas. En février 1935, il embarque à Marseille pour le Brésil. L’université de Sao Paulo vient de naître, avec un fort soutien de la Mission universitaire française. Parmi les enseignants, se trouve l’historien Fernand Braudel, un aîné qui aidera le sociologue débutant. Quelques mois après son arrivée, Claude Lévi-Strauss réalise ses premières enquêtes de terrain. «J’étais dans un état d’excitation intellectuelle intense. Je me sentais revivre les aventures des premiers voyageurs du XVIe siècle. Pour mon compte, je découvrais le Nouveau Monde. Tout me semblait fabuleux, les paysages, les animaux, les plantes…». L’ethnologie donne enfin un sens à sa quête intellectuelle: «Comme histoire qui rejoint par ses deux extrémités celle du monde et la mienne, elle dévoile du même coup leur commune raison… Elle réconcilie mon caractère et ma vie». Une exposition montée à partir de ses premières enquêtes se tient à Paris en 1936. Elle lui vaut la reconnaissance de ses pairs du Musée de l’Homme et des crédits pour de nouvelles expéditions. Les peuples à la rencontre de qui il va survivent comme ils peuvent, décimés par les maladies de l’homme blanc, mais ils ne sont encore ni soumis ni envahis. Certains n’ont jamais vu de Blancs. Comme beaucoup d’ethnologues, Lévi-Strauss ressent cruellement qu’il tente de mettre en lumière et en valeur ceux-là mêmes qui sont en cours d’élimination de la surface de la terre, sous les coups de boutoir de la «civilisation». En 1939, Claude Lévi-Strauss est de retour en France. Mobilisé, il fait la «drôle de guerre» derrière la ligne Maginot. Evacué vers Montpellier pendant la débâcle, il tente en vain de rejoindre son nouveau poste au lycée Henri IV à Paris. Finalement nommé à Montpellier, il est rapidement révoqué du fait des lois raciales de Vichy. Il choisit et obtient un poste à la New School for Social Research de New York, un centre d’accueil pour intellectuels européens persécutés par le nazisme et commence à enseigner, sous le nom de Claude L. Strauss, comme on le lui demande à cause de la marque de blue-jeans: «Je vécus ainsi plusieurs années aux Etats-Unis sous un patronyme mutilé. Depuis, cette malheureuse homonymie n’a cessé de me hanter. Tel un fantôme. Il ne se passe guère d’année sans que je reçoive, en général d’Afrique, une commande de jeans». En 1942, il rallie la France Libre et travaille comme speaker à l’Office of War Information. Il fréquente Breton, Max Ernst, Marcel Duchamp et d’autres artistes en exil à Manhattan, court antiquaires et brocantes à la recherche de pièces d’art primitif. L’exil aux Etats-Unis se prolonge. Nommé en 1945 conseiller culturel à l’ambassade de France, Lévi-Strauss ne rentre à Paris qu’en 1947. Affecté au Musée de l’Homme, il rencontre Georges Dumézil, Michel Leiris dont il lit l’œuvre «avec délectation», et Jacques Lacan, en qui il voit un «chaman» des sociétés modernes. Une fois sa thèse passée, il est élu en 1950 directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études. Face à la protestation d’étudiants africains, il transforme l’intitulé de sa chaire, «Religions des peuples non civilisés», en «Religions des peuples sans écriture». En 1955, «Tristes tropiques» marque un tournant: le professeur Lévi-Strauss, justement reconnu par ses pairs universitaires et chercheurs, devient un écrivain et savant mondialement connu. Récit de voyage autant qu’itinéraire initiatique, bilan autobiographique et philosophique, œuvre littéraire dans la double filiation de Montaigne et de Rousseau d’un côté, de Joseph Conrad et de Bronislaw Malinowski de l’autre, «Tristes tropiques» provoque une onde de choc. Dans cette époque d’éveil du Tiers-monde, l’effet de ce plaidoyer humaniste sera immense et universel et fera de «Tristes tropiques» un chef d’œuvre de la littérature du XXe siècle. «Pendant vingt ans, levé à l’aube, soûlé de mythes, j’ai véritablement vécu dans un autre monde», dit-il. En 1964, paraît «le Cru et le cuit», premier volume des «Mythologiques». Suivront, en une impressionnante somme, «Du miel aux cendres», «l’Origine des manières de table» et enfin «l’Homme nu», en 1971. Pour démontrer que les mythes, ces récits premiers et fondateurs, ne doivent rien à la fantaisie ni à l’arbitraire mais au contraire à la reproduction plus ou moins conforme d’invariants et de schèmes, le chercheur y transcrit, interprète et compare plus de 800 mythes amérindiens et d’un millier de leurs variantes. Le mythe est cette parole structurante qui a survécu au temps, qui assure la continuité du groupe et de l’espèce. C’est un «regard ethnographique» que Lévi-Strauss pose sur la Sorbonne occupée de 1968. Son jugement sur les événements de mai est très dur: «Une fois passé le premier moment de curiosité, une fois lassé de quelques drôleries, mai 68 m’a répugné». Il n’admet pas qu’on coupe des arbres pour faire des barricades, que des facultés soient transformées en «poubelles«, que le travail intellectuel soit paralysé par la «logomachie». La rupture, déjà consommée depuis longtemps avec sa jeunesse marxiste et socialiste, est patente et définitive. De plus en plus conservateur au sens philosophique du mot, Lévi-Strauss est le contraire d’un intellectuel engagé: après 1945, et hormis pour prendre la défense des Amérindiens, il ne se prévaut jamais de son autorité intellectuelle pour prendre des positions publiques et commettre ce qu’il juge des «abus de confiance». Fils de peintre, photographe, Lévi-Strauss s’est intéressé sa vie entière à l’art sous toutes ses formes: la peinture, la littérature, l’opéra et la musique, qui a été sans doute sa plus grande passion. Cette confiance dans l’art et la recherche intellectuelle ne cache pas le pessimisme assez constant du savant. Non seulement il ne se sent pas à l’aise dans son époque (il s’est toujours considéré comme un homme du XIXe siècle alors que sa vie embrasse tout le siècle suivant) mais l’ethnologue est «victime d’une sorte de déracinement chronique». |
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